Noël et fêtes, mais ne faites pas la fête aux mots déguisés en mets
Et voilà que l’année finit sans crier gare et donc, gare aux menus.
En effet, sous l’excuse des fêtes un fantasme parcourt les restaurants : le menu luxe. L’ennui !
À la française, on étalait des plats sur la table, les meilleurs du côté des grands de ce monde ; puis, à la russe, on a détaillé le repas en hors d’œuvres, entrée, plat, dessert.
Mais dans les années 1970 un chef, Pierre Troisgros, rentre de Chine avec le menu dégustation, en pensant que ça ferait original pendant une saison ou deux. Drapeau de la nouvelle cuisine, le dit menu long et étroit gagna le monde. On avait oublié cependant le sens de la chose. Pour les Chinois, le menu se devait d’être équilibré et harmonieux, la table étant l’endroit où préserver ou restituer la santé, la personne conçue comme un ensemble.
En Occident le menu est devenu excuse pour l’étalage des égos de chefs qui par ailleurs ont découvert en lui un trésor : rationnaliser les achats, planifier les repas.
Bref, en n’étant pas associé au chef et quitte à ne pas sortir de table en meilleure santé qu’en arrivant, au restaurant je préfère faire des caprices.
Et profiter de cette magique invention du restaurant français, la carte, pour commander ce qui me fait plaisir. Un produit de choix, transformé en mieux pour le chef et sacré par le service.
Bien sûr, il y a des exceptions et je me plie au menu là où la créativité fait que les mots ne désignent pas toujours les mets.
En revanche, quelle platitude dans l’alignement de symboles qui plus est en se banalisant ont perdu de sa superbe !
Aucun besoin de s’y connaître en cuisine donc pour peaufiner un menu cliché de fêtes. Il vous suffit d’écrire : foie gras, caviar, truffe, langouste, homard. Rajoutez-en du champagne. Et le tour est joué. Résultat tout le monde aura devant soi le même plat et -rêve du restaurateur- tous en même temps.
Mais, c’est ça la fête pour vous ?
De là une autre question : vous allez au restaurant que pour manger ?
Voilà cinq ans, disons a.c (avant confinement) Gira conseil avait sondé les habitués parisiens avec ce résultat : on va au resto :
1) pour l’accueil,
2) pour l’ambiance et -seulement-,
3) pour l’assiette.Quant aux symboles déchus, les voici par le menu : le foie gras est un faux luxe car en cru il a plus ou moins le prix au kilo d’un ris de veau, d’un foie de veau. Loin du prix au kilo d’un poivre noir côté, du jambon ibérique, du safran. Et sa préparation est simple comme bonjour.
Le caviar est un autre faux luxe car il n’existe plus à l’état dit sauvage, ni n’est donc plus saisonnier mais aussi acquaculturisé qu’un saumon, cet autre luxe dévalué.
La truffe a été tant dégénérée quant à elle et d’abord par les chefs qu’on l’étale avec parcimonie, en lames sans goût et sans parfum, puis par des huiles et des mousses et autres crèmes qui ne lui ont laissé que le prix.
Puis, si l’on parle des homards et autres langoustes, c’est évident qu’il y a des différences de qualité et des prix, des nuances, qui ne sont pas toujours énoncés dans le menu fête.
Bref, le menu qu’on nous avance pour nous décider, nous donner des certitudes quant à la fête n’en donne en réalité rien que des mots.
Et bien que la gastronomie soit faite de mots, comme ce billet, les mots on ne les déguste pas. Les mets oui.
Ceci dit, on peut être heureux devant un menu obéissant aux routines dénoncées ci-dessus, comme on peut l’être devant un bon poulet grillé, puisque le seul incontournable des repas heureux est bien sûr la bonne compagnie. Ajoutez, si l’on parle de restaurants, les deux éléments cités, accueil et ambiance, qui d’habitude vont de pair. Et ils sont même capables de devenir votre bonne compagnie quand vous êtes seul.
C’est pour tout cela que Duchemin voudrait remettre la salle au centre du restaurant, comme l’église au village. La salle qui reçoit, qui materne (paterne ?), qui module le rythme de ce concert que doit être un bon repas. Sans fausse note donc.
Des fausses notes ? Une voix sans chaleur à la réservation. L’exigence croissante de votre carte de crédit. La rigidité d’un créneau horaire à vous mettre dehors. L’obligation du menu. Le nom d’un chef qui n’est même pas là, sous forme d’avatar.
Ancien restaurateur et client de restaurants un peu partout, Arturo Pardos demandait, en client dépité, si je donne mon nom à la réservation, pourquoi on ne s’adresserait pas à moi en tant que Monsieur Pardos ?
Le problème de l’équation se cacherait dans la rareté du facteur restaurateur, ce personnage qui disait que les étoiles étaient les clients ?
En vous souhaitant, lecteur, les plus jolies fêtes, un petit tuyau : le moins disant c’est le plus expressif et un restaurant sans menu obligatoire parfois le graal.
Mais c’est bien sûr à vous, lecteur, de composer la table qui mettra du sel sur tous les plats.
Quant aux célébrations maisons, on peut envisager deux traditions détournées. Pour faire républicain devant les rois, tous mages qu’ils soient, faut essayer la galette cochonne des Verot* père et fils, cochon de la Perche et foie gras à l’intérieur, le feuilleté de toujours en dehors.
L’autre des traditions nous vient d’Alicante et plus loin, de l’arrivée du sucre en Europe, par la Méditerranée espagnole
et Al-Andalou. Du sucre et des amandes, plus le savoir faire de sept siècles qui ont laissé une tradition festive en Espagne et une grande partie de l’Amérique : le turrón avec et après le dessert.
Il y a quelques années, une des maisons historiques de la spécialité, Vicens** (sise 1775), avec maintenant une antenne à Paris, s’est soumise à un lifting de modernité qui a révolutionné le secteur. Avec quatre grands chefs (Quique Dacosta, Ángel León, Jordi Roca et Albert Adrià) ils innovent avec des turrones au plancton marin, au jambon ibérique, au gin-tonic… De 13 à 18€ la tablette.
Sans oublier des productions de toujours (IGP Torró d’Agramunt), un pack (40€) réunit six icones : nougat mou à base de poudre d’amandes ; nougat dur -un classique !- aux cacahuètes et au miel ; turrón au jaune d’œuf grillé élaboré à partir d’amandes moulues et de jaune d’œuf ; turrón à la crème et aux noix et enfin, celui au guirlache, des amandes et du caramel solidifié.* Verot. 3 rue Notre Dame des Champs, 75007 Paris
Tél.: 01 45 48 83 32 / www.maisonverot.fr** Vicens. 21 Quai de la Tournelle, 75005 Paris.
Tél. : 01 42 02 23 62
Oscar Caballero est journaliste culturel, chroniqueur gastronomique et auteur. Notamment de « Quand la cuisine fait date”.