Le Dicton du jour :
« Ne va pas à l’écurie le 24 décembre après minuit, cela te porterait des ennuis. »
Les Saisons
Restaurant (Bistronomie)|75009 PARIS
C’est ce qu’on appelle vraiment la bistronomie : des plats traditionnels, enrichis sans chichis, un accueil chaleureux. Une carte pas trop longue avec des must comme la cote de boeuf pour deux et généreuse pour trois ou le rognon entier. En entrée, un foie gras mi-cuit raffiné fait concurrence à la salade de lentilles et pieds de porcs en cromesquis. Si vous hésitez sur le dessert, foncez sur l’exceptionnelle Tatin aux coings ! La carte des vins est courte mais de choix et aux prix bien tenus avec trois cuvées de la famille Brunel (Château de La Gardine) dont un Rasteau charnu et plein de saveurs.
Menu déjeuner avec trois entrées, trois plats et trois desserts à 24 euros ou 30 euros.
A signaler : le restaurant est ouvert tous les jours, au diner le samedi et le dimanche.
Oscar et Thibault
Les Saisons
52 rue Lamartine
75009 Paris
Tél.: 01 48 78 15 18
Champagne pour tout le monde ! Y compris pour Engels, oui, celui du Manifeste
L’invitation rituelle est valable pour recommander un livre, Histoire(s) des vins de Champagne (Éditions du Félin) originale dans ses dates car ni par son format ni par son contenu ce livre n’apparaît comme le typique cadeau, mis en bouteille ou plutôt en page, pour profiter de la conjoncture des fêtes.
Si l’assemblage est le meccano adéquat pour construire un champagne, Éric Glatre s’est valu de ce recours de cave pour mettre sur un pied d’égalité, pied de vigne dans ce cas-là, le vignoble et les gens qui le bichonnent avec ce phénomène si propre à la Champagne, les grandes maisons.
Sans laisser de côté cet autre particularité de la région, les origines allemandes de la plupart des grands hommes fondateurs, les grandes femmes comme Barbe-Nicole Cliquout-Ponsardin (1777-1866), Louise Pommery (1819-1890), Camille Olry Roederer (1892-1975) ou Elisabeth Bollinger (1899-1977) étant Françaises.
Glatre s’était montré déjà bon buveur d’anecdotes bien datées, dans les mêmes Éditions du Félin avec son Histoire(s) de vin -33 dates qui façonnèrent les vignobles français ; 2020- il le confirme avec cette incursion champenoise. Dorénavant, le livre ivre de champagne de Glatre rentre avec les honneurs dans une bibliothèque où se détache par exemple -et cela depuis 2011- Le champagne - une histoire franco-allemande (Ed Pups).
Signé de Claire Desbois-Thibault, Werner Paravicini et Jean-Pierre Poussou, leurs 380 pages réaffirment que si l’on doit à une clientèle anglaise l’essor du champagne, son expansion en Europe à partir de la fin du XVIIIème siècle est plutôt le fait de négociants et consommateurs allemands.
«On peut penser que cela tient à l’ancienneté des achats allemands de vins en France, ou à l’empire qui exerça le champagne sur les usages de table à partir du milieu du XVIIIème siècle. Mais le rôle des maisons de négoce a été déterminant, soit parce que, comme pour Moët et Clicquot, il y a eu un démarchage systématique de la clientèle allemande, soit parce que naquirent des maisons allemandes du champagne. Il est vrai que plus tard, et la Seconde guerre mondiale et l’occupation allemande rendront compromettantes ces liens».
Passons sur le fait que le livre de Glatre tombe dans certains poncifs comme celui de reproduire ces deux vers («De ce vin frais l’écume pétillante/De nos Français est l’image brillante»), dignes d’une fin de banquet, et la preuve que Voltaire aurait mieux fait de se taire, n’étant point poète. En revanche, Glatre ose relativiser les mérites du Dom Pérignon (le moine pas le champagne, quoique…).
Merret avait de la bouteille et il était pur sucre
De mon humble point de vue il lui aurait aussi fallu réserver une meilleure place à la bouteille industrialisée par les Anglais, sans laquelle point de champagne.
Ces pauvres Anglais si désavantagés ici eu égard des Allemands malgré la grande importance qu’ils ont eu en gastronomie, du Porto à Bordeaux, sans oublier la tablette de chocolat, fille de sa Révolution industrielle ou le détournement de saveurs indiennes pour donner au XIXème siècle des sauces en bouteille toujours vivantes. Ou enfin la sélection pendant cinq siècles de races bovines les plus aptes à la grillade.
Aujourd’hui quand le réchauffement climatique oblige une grande maison comme Taittinger à mettre déjà son pied de vigne sur terres anglaises, il convient de voyager dans le temps vers 1662, quand le médecin et naturaliste Christophe Merret (1614-1695) tient ce discours devant la Royal Society de Londres : «Nos viticulteurs utilisent de grandes quantités de mélasse pour toutes sortes de vins, afin de les rendre vifs et pétillants».
Sa constatation : en ajoutant du sucre (en provenance des colonies caribéennes) dans une bouteille bien bouchée après (les bouchons de liège venant à leur tour de la péninsule ibérique) se produirait une seconde fermentation. Voilà donc le champagne, précédant en plus d’un lustre l’arrivée de Pierre Dom Pérignon (le 23 mai 1668, âgé de 29 ou 30 ans) au monastère d’Hautvillers.
Glatre n’est pas dupe cependant : «Il est établi aujourd’hui que la prospère affaire conduite de main de maître par le père procureur d’Hautvillers reposait sur l’élaboration de vins tranquilles de « la Montagne » et de « la Rivière».
Certes -admet-il-, «on ne peut exclure qu’il ait à la fin de sa vie connu le vin saute-bouchon, mais sûrement plus alors comme un vin imparfait que comme une délicieuse merveille».
Et bon joueur, concède : «Mais, peu importe ! Dom Pierre est le véritable inventeur du négoce moderne des vins de Champagne, ce qui est, tout bien considéré, plus vaste et plus important que la stricte idée de la prise de mousse, et explique même qu’on ait pu la lui prêter».
Mais, on proteste in petto, si l’on exclut les AOC propres à Ricey des vins tranquilles et du Rosé de Ricey, comment parler du négoce moderne des vins de Champagne en faisant abstraction des bulles ?À Reims , Gérard Liger-Belair tire le macro portrait des bulles
C’est à dire du phénomène qui fait qu’avec “environ 5 litres de CO₂ dans une bouteille, le champagne est de loin la boisson la plus chargée en gaz carbonique dissous”.
Souligné par Michel Onfray, philosophe prolifique et dont son premier et brillant Le ventre des philosophes permet de lui pardonner une certaine hypergraphie, a co-signé en 2015, avec Gérard Liger-Belair l’ouvrage Champagne : la vie secrète des bulles (éditions du Cherche midi).
Dix ans après, en octobre dernier précisément, le professeur (Université de Reims Champagne-Ardenne) Liger-Belair, cette fois-ci tout seul, synthétise son quart de siècle d’études sur toutes les effervescences dans Sparkling Beverages, Champagne and Beyond (Academic Press) dont les 302 pages s’intéressent à toutes les boissons traversées par le gaz et le mouvement.
D’après une critique, «le chercheur explique, images à l’appui, comment les bulles et le CO₂ influencent la perception sensorielle […] La physique se met au service du plaisir, sans le réduire à la seule technique […] Gérard Liger-Belair y relie physique, chimie, histoire et savoir-faire, dans un livre qui démontre que comprendre l’effervescence, c’est aussi comprendre une part essentielle de notre culture. Si le livre explore le monde entier des boissons gazeuses, le champagne en reste le fil conducteur».
Quelques souvenirs marquants dans cette rétrospective ? «Il y en a beaucoup, mais on peut évoquer le travail sur le débouchage. Nous avions loué une caméra haute définition pour une demi-journée en vue d’étudier la vitesse du bouchon en sortie de goulot. Et là, on a capté des ondes de choc qui témoignaient d’une détente du gaz carbonique à une vitesse supersonique, ce qu’on n’avait évidemment pas imaginé. Cela a donné lieu à de multiples publications, y compris dans la presse grand public».
Adepte de la macrophotographie, Liger-Belair complémente expériences et écriture avec le portrait minutieux de bulles, de photos montrées parfois comme dans son exposition L’odyssée des bulles, accueilli en 2017 au Syndicat général des vignerons de la Champagne, à Epernay (Marne), celui qui justement protège le premier vendeur de ce vin pétillant en France, Champagnes de Vignerons, association de quelques 4 000 vignerons, parfois organisées en coopérative, tous sous l’étiquette RM, récoltant manipulateur et dont beaucoup d’entre eux ont renoncé à nourrir les grandes maisons avec leurs vins ou bien à en réduire cette participation à un bénéfice de vins plus personnels, étiquettes nées pour la plupart au XXIème siècle.Plus de vignerons, moins de grandes maisons dans une histoire du champagne ?
Pour se dire donc que la prochaine histoire du champagne, celle de ce siècle, sera plutôt celle des vignerons. Bien sûr, sans marginaliser les grandes maisons, dont les volumes et le marketing les transforment en locomotives de l’exportation.
Personnellement j’aimerais aussi qu’un historien recherche dans les archives de ces grandes maisons, les achats d’un grand client du XIXème, un tel Friedrich Engels, plus connu comme coauteur du Manifeste du parti communiste (1848). En attendant ledit historien je vous conseille de lire, avec trois lustres de retard mais qu’importe, Engels. Le gentleman révolutionnaire, de Tristram Hunt (traduit de l’anglais par Marie-Blanche et Damien-Guillaume Audollent. Flammarion. Grandes biographies).
Dans sa critique Friedrich Engels, la révolution au champagne (Le Monde, 4-2-2010), Thomas Wieder ironise au sujet d’Engels : «S’il était né au XXème siècle, on l’aurait sans doute moqué pour son appartenance à la “gauche caviar”. Wiedert qualifiait de «passionnante biographie» celle «que lui consacre le jeune historien britannique Tristram Hunt, professeur à l’université Queen Mary de Londres»».
Contre l’image d’un Engels en «philosophe austère, sévère, voire un brin pontifiant, Hunt nous apprend que ce fils d’un homme d’affaires difficile à dérider, né en 1820 dans une petite ville de Rhénanie pas franchement folichonne, était en fait un joyeux drille. Partout où il vécut, à Berlin, à Manchester, à Bruxelles ou à Londres, il fit la fortune des cabaretiers, la joie des jolies femmes et le délice des cancaniers».
Tout cela fascine Wieder : «Membre de clubs très huppés où l’on se distrayait en chassant le renard, amateur de champagne et de Château Margaux (avec tout de même une prédilection pour le millésime 1848, l’année du “printemps des peuples”), il fut surtout... un capitaliste pur sucre». Et de noter que «si l’auteur de La Situation de la classe laborieuse en Angleterre (1845) payait certes ses employés un peu mieux que ses concurrents, il n’avait aucun scrupule à licencier les fortes têtes. Et était fier d’avoir pour bible The Economist, le grand hebdomadaire des classes dirigeantes : “Je ne suis pas naïf au point de consulter la presse socialiste quand je cherche des conseils sur les opérations financières”, disait-il.
Attention, peut-être aidé par l’effervescence champenoise, «Engels était un mécène généreux». Et Marx fut le grand bénéficiaire de ses largesses. D’après l’historien, c’est ainsi l’équivalent de 375 000 à 500 000 euros «que l’auteur du Capital aurait reçu de son cher ami Friedrich».
Prolétaires du monde, tchin tchin, des bulles plein la bouche. Et bonnes fêtes bien sûr aussi pour les capitalistes surtout quand ils partagent la si bourgeoise schizophrénie d’Engels.
Et pour des sorties de saison, sachez que l’hiver c’est le bon moment pour profiter du salon avec cheminée de l’hôtel Dokhan’s*, dont le Dokhan’s Bar fort de 240 références est le non plus ultra des bulles à Paris, parfois copié jamais égalé.* Hôtel Dokhan’s. 117 rue Lauriston, 75116 Paris.
Tél.: 01 53 65 66 88. Bar jusqu’à 23h.Dans un autre registre, celui des achats dégustation avec un accueil bienveillant, Cave à Champagne – Dilettantes, 22 rue de Savoie, 75006 Paris.
C’est donc face à l’excellent Relais Louis XIII de Manuel Martinez dont le toujours exact Champagne 2006, Philipponnat Grand Blanc (95€) peut faire le repas. Le restaurant (8 rue des Grands Augustins, 75006 Paris. Tél.: 01 43 26 75 96. Fermé dimanche, lundi et mardi midi), étant équidistant pour qui s’intéresse aux potins de la culture, du grenier où Picasso a peint le Guernica, dorénavant Gernika, et le domicile familial de Dora Maar, alors l’instigatrice d’après la légende du tableau dont elle a photographié le travail en cours.
Enfin, une coupe de champagne Lequeux-Mercier Brut Tradition, servi par Kang, à La Cagouille, 10 place Constantin Brancusi, 75014 Paris. Tél.: 01 43 22 09 01, où il y a des oursins, en plus des boudeuses et de la si régulière cuisine de Freddy Amy et Adama Thiam, pour noter que ce restaurant de poissons frais et peu agressés en cuisine est ouvert les 365 jours de l’année, dont le 31 décembre. Et sans menu réveillon ! Les connaisseurs apprécieront.
Bouclons le billet et l’année avec une trouvaille de Blaise Pascal qui vaut pour tous mes billets : « Je vous écris une longue lettre parce que je n’ai pas le temps d’en écrire une courte ».
Oscar Caballero est journaliste culturel, chroniqueur gastronomique et auteur. Notamment de « Quand la cuisine fait date”.
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Les produits de saison
Les produits que l’on peut légitimement trouver sur nos tables en cette saison.
Les salsifis (frais bien sûr)
Légume oublié par excellence mais tellement délicat. Avec ses saveurs douces et légèrement sucrées qui rappellent l’artichaut, l’asperge ou la noisette, c’est vraiment un accompagnement d’une grande finesse. Si vous en trouvez au marché, ne vous laissez pas rebuter par l’épluchage, vous serez récompensés !
La Bûche (spéciale dédicace)
La bûche de Noël est un morceau de bois de chauffage de grosseur exceptionnelle, capable de brûler pendant toute la veillée de Noël et le réveillon. Par analogie, les pâtissiers ont créé la bûche de Noël, gâteau fait de génoise fine et de crème au beurre et chemisé d’une crème au beurre striée, chocolat ou café, qui imite parfaitement l’écorce. Les bûches « riches » comportent même des feuilles vertes, de la mousse et des champignons.
(Source : dictionnaire de l’académie des gastronomes)
Joyeuses fêtes gourmandes à toutes et tous, nous nous retrouvons l’année prochaine ! (et merci pour votre fidélité qui manifestement fait des émules)…








